Jean-Philippe CLERC – Président Fondateur de Madeiniki nous raconte l’expérience du FabLab de Commenailles autour de la reconnaissance ouverte

C’est l’histoire du premier openbadge du FabLab (Laboratoire de Fabrication) #madeiniki, basé à Commenailles, petit village de 870 habitants en Bresse Jurassienne. Nous avons réussi à mobiliser nos bénévoles pendant le pic de l’épidémie #covid-19 au printemps 2020, avec notamment la fabrication en impression 3D et le don de centaines de visières à destination des soignants et autres personnels exposés.

Visières fabriquées au FabLab

Le fablab, crée en 2016, est composé  d’adhérents de tous milieux sociaux, divers niveaux d’études, des experts techniques comme des amateurs éclairés, ou de simples personnes cherchant du lien social.

Cet engagement exceptionnel solidaire à la fois collectif et individuel nécessitait d’être reconnu en dehors du fablab, car beaucoup de #makers (ceux qui fabriquent) faisaient la même chose dans divers endroits de France, ils utilisaient leur imprimante 3D personnelle 24/24h (et leur matière première) pour fournir un maximum de visière dans l’urgence.

Il faut savoir que souvent, le maker travaille seul et pour lui. La pandémie a changé cette image, et celle des fablabs et tiers-lieux engagés.

Assez vite, j’ai voulu “rebondir”, introduire les “openbadges” au fablab pour reconnaître les compétences acquises et les savoirs et savoirs-faire informels… mais aussi garder trace de cette formidable mobilisation citoyenne et essayer de symboliser cet engagement, un open badge me semblait l’outil idéal.

En créant ce badge avec l’aide de JC Henrard (MednumBFC) et Loïc Geschwine (Collectif BRAVO-BFC), associé à Gaël forgeur numérique du fablab, nous nous sommes posés certaines questions:

Le nom du badge?


Il me paraissait évident d’utiliser le mot “maker” et naturellement les termes “citoyen et solidaire” me sont venus en tête, approuvés immédiatement par l’équipe.

Le Visuel?

Ici mes compétences de graphistes étant limitées, ce sont les équipes de la MedNumBFC qui ont réalisés le -superbe- visuel.
Nous avons aussi fait le choix de reconnaitre dès le visuel les partenaires avec qui nous travaillons c’est pourquoi le logo de RFF (Réseau Français des FabLabs) a été ajouté pour impliquer cette structure dont #madeiniki est membre et qui fait un travail de longue date sur le sujet des “open badges” et de la reconnaissance des compétences informelles.

Pour qui ?

Ce sont les bénéficiaires, les makers qui ont été acteurs de cette solidarité exceptionnelle, des personnes qui se sont mobilisées sur cette action. Nous ne voulions pas le réserver à des résidents de notre région Bourgogne Franche Comté, mais au contraire qu’il voyage dans toute la France. La solidarité n’a pas de frontière.

Pour preuve, un autre territoire de reconnaissance, Le Centre Val de Loire a sollicité Madeiniki pour qu’il lui partage le badge Maker, citoyen et solidaire afin de “relayer” la proposition de ce badge aux makers de sa région. Encore une preuve de l’agilité des openbadges et de sa capacité à créer des liens entre les territoires. Les valeurs se partagent et elles sont véhiculées par la reconnaissance ouverte.

Carte des bénéficiaires du badge “Maker, citoyen et solidaire”

Pour quoi?

Pour reconnaitre tous les actes de solidarité dans la fabrication, la distribution de visières mais aussi des masques tissus, tout objet fabriqué bénévolement en lien avec la pandémie.

Comment l’obtenir ?

Là il fallait se demander si c’était une démarche individuelle, chaque personne le demandant via un formulaire et la fourniture de “preuves” (photos, fichier modélisé etc), ou alors si nous l’attribuons de facto. C’est le premier choix qui était privilégié, le côté “personnel” était important à nos yeux, la démarche est plus engageante et demande une approche réflexive.

Quand nous parlons d’attribution du badge, une question vient à l’esprit, avons-nous une vraie légitimité à dire “toi, tu mérites le badge, nous te l’attribuons”, contrairement à une autre demande qui ne nous paraît pas compatible. Cette légitimité est construite autour et par un collectif et la confiance mutuelle qui existe entre tous les acteurs de cette communauté de makers, c’est ainsi que se créée la valeur de l’openbadge.

Dans nos critères d’attribution nous proposons un texte libre pour raconter son histoire solidaire. De nombreuses demandes de badges comportaient un texte plus ou moins long, mais empreint d’émotions, on y ressent l’engagement des personnes, et la sincère solidarité qui les anime, c’est souvent très touchant.

Anecdote de cette aventure, nous avons également matérialisé notre openbadge sous forme de “mug” fabriqué au fablab et offert aux bénévoles impliqués, cela permet de communiquer sur l’openbadge sans forcément aller sur la partie “numérique” et aussi renforcer le sentiment d’appartenance à ce mouvement humaniste.

Certains voient d’un mauvais œil les openbadges, perçus comme des récompenses, plutôt que des outils de reconnaissance. Pour répondre à ces critiques, je reprendrais une phrase trouvée ailleurs: “on est récompensé pour ce que l’on a fait, mais on est reconnu pour ce que l’on est !”

La reconnaissance est davantage rattachée à des pratiques concrètes qui s’inscrivent dans le cadre d’une situation particulière, clairement identifiable. … elles impliquent plusieurs personnes, à savoir la personne qui reconnaît et celle qui est reconnue.

Alors que la reconnaissance s’inscrit dans une relation puisque ce sont les autres qui la donnent, il semble que le sentiment de valorisation soit moins subordonné aux relations avec les autres. La valorisation se vit davantage par soi-même et pour soi-même, que ce soit à travers la réalisation des tâches quotidiennes ou de manière plus globale, par le biais de la mission de l’organisme.[1]

En résumé nous reconnaissons la qualité, l’expérience et les valeurs d’une personne, dans son implication et ses initiatives, c’est pour cela que sur ce badge, nous demandons une ou des preuves (traduction de l’anglais « evidence ») à fournir, démarche un peu plus singulière liée à l’expérience et la pratique de l’individu.

Cette chaîne de reconnaissance est rendue visible par d’autres openbadges, par exemple l’un des premiers badges de reconnaissance maker, proposé par “Maker Faire France” et qui s’appelle “Covid Buster Maker”. Ce badge plus généraliste, est délivré pour reconnaître l’engagement du maker participant (ou ayant participé) à des actions de lutte contre le COVID-19 : conception, modélisation, prototypage, fabrication contribution, documentation, coordination, mise en réseau, mobilisation d’usagers, fourniture de matériaux, … Partageant les mêmes valeurs et engagements, comme “preuve de confiance” nous avons décidé de reconnaître mutuellement nos organisations, en utilisant l’endossement. Par cette action, nous renforçons le réseau de confiance de notre communauté de makers.

Début juillet, nous avions eu 108 demandes approuvées, de toute la France…et 92 bénéficiaires (qui ont fait la démarche jusqu’au bout), ce qui est plutôt une belle réussite de ce petit projet de reconnaissance.

Le chemin de la reconnaissance est désormais ouvert…

Jean-Philippe CLERC – Président Fondateur de #Madeiniki


[1] Projet de recherche Coll-âges
http://innoverpourcontinuer.ca/wp-content/uploads/2014/09/IpC_fiche_reconnaissance-valorisation.pdf